Comment votre groupe a-t-il défini sa trajectoire de réduction des émissions carbone ?
Stéphane Hénon : Construire notre trajectoire supposait déjà d’établir un bilan clair et solide de nos émissions. Nous l’avons effectué à l’échelle du groupe et fait certifier par EY. Sans grande surprise, il en ressort que 94 % de nos émissions sont des émissions indirectes, liées en particulier à l’utilisation de nos matériels par nos clients (scope 3), et 6 % sont des émissions directes (scopes 1 et 2). La seconde étape a consisté à se fixer un horizon. L'année 2050 nous est apparue trop lointaine pour être une échéance mobilisatrice. En revanche, 2030 le permet. C’est un avenir proche qui suppose des actions immédiates et concrètes. En huit ou neuf ans, nous allons, par exemple, pouvoir mener un vrai travail de mutation de notre parc. Au travers de cette transformation et de bien d’autres actions, nous visons une baisse de 50 % de nos émissions directes et de 30 % des indirectes pour nous inscrire dans les accords de Paris.
Quelles mesures mettez-vous en place pour tenir ces objectifs ?
En ce qui concerne la partie logistique de nos activités, à savoir la livraison et la récupération de nos matériels sur les chantiers, nous pouvons déjà compter sur la densité de notre réseau d’agences sur le territoire français [NDLR : 500agences dans l’Hexagone]. Des agences bien implantées et en nombre, c’est moins de kilomètres à parcourir et la possibilité de travailler à l’optimisation des tournées. Mais le gros de nos efforts porte sur la mutation de notre parc de matériels et nos flottes de camions et véhicules. Concrètement, nous investissons dans l’alternative au diesel lorsqu’elle existe.
Faut-il en déduire que le diesel reste une option ?
Il n’existe pas encore d’alternatives low emission à tous nos équipements. S’il ne faut pas sous-estimer l’impact des motorisations thermiques récentes et conformes aux normes stage V sur les émissions, ce type de moteur est, pour autant, bien plus propre que le moteur diesel d’il y a quinze ans. S’enfermer dans des logiques binaires n’a pas de sens. Il faut être pragmatique pour être efficace. En 2030, on aura de l’hybride, de l’électrique, du solaire, de l’hydrogène, du diesel plus propre… Dans un ensemble équilibré, je ne vois pas pourquoi le diesel serait complètement exclu.
Travaillez-vous néanmoins à l’émergence d’alternatives ?
Evidemment. Nous avons, par exemple, été le premier loueur à acheter un groupe électro-hydrogène 100 kVA.Ce nouveau matériel vient compléter notre gamme Loxgreen de matériels à faibles émissions. Par ailleurs, récemment, nous avons annoncé que nos 75 agences en Île-de-France sont désormais pourvues en biocarburant. C’est une opération pilote que nous menons avec TotalEnergies. Si elle fait ses preuves, elle sera ensuite étendue à d’autres métropoles. C’est une solution à ne pas négliger dans l’attente de véritables alternatives.
« Il faut d’abord réduire notre empreinte avant d’acheter des crédits carbone pour se donner bonne conscience. »
Quel niveau d’investissement consacrez-vous aux matériels propres ?
Cette année, cela représente 40 % de nos investissements dans les matériels et, en 2022, cette proportion évoluera sûrement pour atteindre 45-50 %. Nous allons très rapidement être à plus de la moitié de nos investissements (capex green) et, en 2030, nous tendrons vers les 100 %. Pour l’instant, nous dépendons beaucoup des fabricants car l’offre n’existe pas encore. C’est pourquoi nous menons une forte action de lobbying auprès des constructeurs de matériels pour qu’ils accélèrent et nous proposent d’autres alternatives. Nous sommes l’interface entre le fabricant de la machine et le client. Aujourd’hui, nous faisons la promotion de nos matériels faible émission et incitons tous nos clients à les tester. Certains sont encore dubitatifs sur la puissance, l’autonomie, etc. Nous organisons en permanence des rencontres avec nos clients pour qu’ils essayent les matériels et se laissent convaincre. Nous avons un rôle important de persuasion.
La transition énergétique des engins est-elle vraiment au cœur des préoccupations de vos clients ?
Du côté des grands comptes, oui. Ils se sont fixé un certain nombre d’objectifs qu’ils doivent maintenant tenir. Ils sont demandeurs de solutions pour les aider à baisser les émissions des machines. En revanche, le sujet ne s’est pas encore imposé au sein des petites et moyennes entreprises, mais ça ne saurait tarder. En tant que loueur, notre devoir est de montrer la voie. D’où le déploiement de notre gamme Loxgreen dans une quinzaine de métropoles françaises et notre volonté de l’étendre à toutes les capitales européennes. Dans chacune d’elles, il y aura prochainement une agence labélisée Loxgreen.
Comment mesurez-vous l’efficacité de vos démarches et le respect de la trajectoire carbone annoncée ?
Nous mettons en place notre trajectoire carbone dans le cadre de l’initiative Science Based Targets qui prévoit un suivi avec des mesures régulières pour vérifier le respect de nos objectifs. Cela nous met au défi et c’est une bonne chose. Nous sommes le premier loueur à nous y inscrire. Or, il s’agit là de la référence mondiale en la matière sur laquelle s’appuient d’ailleurs les organismes de notation extra-financière.
Pensez-vous possible d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ?
Après avoir atteint nos objectifs en 2030, nous nous donnerons une nouvelle trajectoire pour 2040, 2050. La seule initiative individuelle ne permettra pas d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Il faut l'implication de tous. Il faudra donc s’entendre sur les moyens d’y parvenir et sur la place accordée à la compensation. Selon moi, il est essentiel, en tant qu’industriel, de mener d’abord un travail sur la réduction de notre empreinte avant d’acheter des crédits carbone pour se donner bonne conscience tout en continuant de polluer. La compensation doit être l’étape ultime, après avoir fait l’effort de réduire notre impact au maximum. Par exemple, nos agences n’arriveront pas à zéro émission, même après travaux d’isolation, de rénovation énergétique… Il restera une empreinte résiduelle et dans ce cas, la compensation pourra s’entendre.
Charlotte Divet