Construire à faible coût des matériels à l’autre bout de la planète pour les vendre en Europe serait-il un modèle économique bientôt dépassé ? Comme d’autres, le constructeur JCB répondrait sûrement par l'affirmative à cette question. Historiquement implanté au Royaume-Uni, l'industriel a implanté dès 1979 sa première usine à New Delhi, en Inde. À l’époque déjà, l’objectif n'était pas de disposer d'une plateforme de matériels à bas coûts de production pour mieux inonder le marché européen, mais bien de répondre aux besoins locaux d’un vaste marché émergent qu'il s'agissait de conquérir. Trois décennies plus tard, la stratégie s’avère gagnante, puisque le fabricant possède 23 sites de production à travers le monde, dont 12 au Royaume-Uni et 8 en Inde. Avec 40 000 unités vendues annuellement, principalement sur les segments des tractopelles, pelles et compacteurs, le marché indien occupe le second rang mondial dans l'activité de JCB. Dans ce pays, une machine sur deux vendue dans le BTP porte ses initiales.
L'expansion de Komatsu confirme, elle aussi, l’efficacité d’une progression à l’international adossée à des ancrages locaux préétablis. La firme, qui fait tourner aujourd’hui 76 usines dans le monde, dont 12 sur son sol, est le premier constructeur japonais d’engins de travaux publics à s’être aventuré hors de ses frontières : en 1967, avec la création de la division UK ; en 1985, avec l’ouverture de son premier site de construction de pelles, au Royaume-Uni, près de Newcastle. L’Allemagne attendra 1989 pour qu’un second site européen voie le jour à Hanovre. Une sortie du pays qui correspond à une étape où le constructeur – qui ne produisait jusque-là que des niveleuses et des bulldozers – décide de se lancer dans la chargeuse et la pelle sur pneus. La prise de participation dans la société italienne FAI pour les mini-pelles de moins de 12?t, puis le rachat du germanique Demag pour les engins miniers, dans les années 1990, seront suivis par l’acquisition de Lehnhoff outre-Rhin et enfin de Joy Global, aux États-Unis, dernière entreprise passée dans le giron nippon en 2015.
Un développement industriel basé sur la « pensée locale »
Aujourd’hui, à peine 15 % des machines présentes en Europe sont importées du Japon. Il s'agit notamment des tombereaux articulés et rigides ou des machines de fort tonnage, comme les pelles de 90 ou 125 t. Pour le reste, tout est fabriqué en Europe pour les marchés locaux. La petite pelle transportable est, par exemple, faite par et pour l’Italie, et les pelles à pneus sont conçues en Allemagne pour le marché européen. Les pelles de démolition grande hauteur fabriquées au Royaume-Uni alimentent quant à elles le marché britannique, où le constructeur est leader sur ce type de matériel. « La stratégie de Komatsu est de toujours moins importer du Japon, notamment les accessoires, explique Alexis Muhlhoff, responsable produits chez Komatsu France. L’idée consiste à s’implanter sur un marché local où un matériel est largement utilisé, puis de ventiler sur le reste de l’Europe et du monde à partir d’une base de développement industriel solide. » Même prime à la proximité chez Bobcat, la production européenne se concentrant sur ses deux usines de Dobris (République tchèque) et de Pontchâteau (44) en France. « Notre credo est de produire localement pour une demande locale, même si nos sites européens peuvent être amenés à fournir d’autres zones géographiques, comme l’Amérique du Nord, résume Giuseppe Pappalardo, vice-président des opérations sur la zone Emea chez Bobcat. Notre site tchèque est par exemple tourné vers la production de chargeuses compactes, notamment vers l’Allemagne. Cela dit, nous ne planifions pas de nouvelles usines en Europe, préférant investir dans l’augmentation de la capacité de production de nos sites actuels. »
Les vertus de la « pensée locale » dans le développement industriel ne sont plus à démontrer. La crise mondiale actuelle des chaînes d'approvisionnement ne fait que les souligner, en même temps qu’elle engage à de nouveaux arbitrages pour garantir une meilleure autonomie des outils de production. « Nous avons relocalisé notre production pour nous affranchir des contraintes liées aux ruptures d’approvisionnement, à l’envolée des prix des conteneurs et aux fermetures d’usines, note Philippe Girard, directeur général de JCB France. C’est le cas des distributeurs hydrauliques, auparavant importés de Turquie, ou des jantes, qui provenaient d’Europe de l’Est. Ces produits sont désormais fabriqués en France par des partenaires industriels ». En Inde, le Britannique fait une exception à son orientation non-exportatrice. Dans ce pays, sa maîtrise poussée de la mécano-soudure l’amène à fabriquer des tabliers pour la totalité du marché européen. Une même recherche d’autonomie conduit le fabricant à spécialiser sa production avec cinq usines de composants tels que des moteurs, des essieux ou encore des vérins. Parallèlement, sept autres sites sont dédiés à certaines catégories de produits : pelles électriques, matériel compact, pelles à roues et à chenilles, tractopelles, chargeuses, mais aussi une usine de chariots télescopiques, qui produit quatre machines différentes, formatées en fonction des pays où ils sont exportés. « Ces usines étaient à l’origine conçues pour alimenter le marché britannique, qui s'est depuis élargi au-delà de ses frontières », résume Philippe Girard. Toujours dans un souci d’équilibre, JCB produit dans son usine nord-américaine des chargeurs compacts d'abord destinés à satisfaire les attentes états-uniennes, mais qui peuvent être exportés en Europe, étant donné la petite taille de son marché sur ce segment.
Conserver la maîtrise de la production, notamment pour les composants sensibles, c’est notamment le choix de Komatsu, qui privilégie sur ces éléments ses usines nippones. Ainsi, 96 % des composants qui entrent dans la fabrication de la pelle hybride française viennent d’Osaka. « La plupart des innovations technologiques continuent d’être développées au Japon, poursuit Alexis Muhlhoff. C’est le cas de la chargeuse sur pneus WA475, produite sous licence en Allemagne. Mais elle a été largement remaniée par le bureau d’études local, avec une cinématique et une taille des pneus différentes, mais surtout l’incorporation de la transmission à variation continue. Cette solution, qui n’avait pas marché au Japon sur les bulldozers, a donc pris grâce au marché européen, mais sur un autre type de matériel. »
Retrouvez l'intégralité de ce dossier dans le Moniteur Matériels n°6237 du 17 mars dernier.
Steve Carpentier