Location : la difficile équation de la transition

| Enquête |

Plus encore que leurs confrères nationaux, les loueurs régionaux peinent à accélérer la conversion de leurs parcs aux solutions alternatives. La faute à des freins persistants. 

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Location : la difficile équation de la transition

Faut-il se lancer dès maintenant ? C’est la question qui taraude les loueurs régionaux réfléchissant à la conversion de leurs parcs de machines avec des solutions alternatives au GNR. Un vrai dilemme pour ces professionnels auxquels rien ne prouve qu’il est soutenable, judicieux, voire même réalisable, d’abandonner le diesel au profit d’autres énergies.

 

Pourtant, aucun d’eux ne nie la nécessité de réduire les émissions de CO2. Tous ont d’ailleurs investi et continuent de le faire dans des matériels dont les moteurs répondent aux dernières normes antipollution. C’est notamment le cas du spécialiste de la location de finisseurs et de répandeuses avec opérateurs, ATPS, pour qui la transition énergétique est un sujet essentiel depuis sept ans déjà. À l’époque, la société s’était engagée dans un renouvellement de sa centaine de camions avec à la clé des baisses de la consommation de carburant de l’ordre de 20 %. Abordée sous l’angle économique, cette démarche a rapidement été valorisée dans l’optique de réduire les émissions carbone. Après ce premier pas qui concernait l’empreinte du volet logistique de ses activités, l’entreprise en a rapidement franchi un autre pour se concentrer sur son offre de produits.

 

Ainsi, elle a décidé d'équiper systématiquement tous ses finisseurs Wirtgen avec le système Vögele EcoPlus. Une option proposée par le constructeur qui a permis de faire chuter de plus de 15 % les consommations en GNR de ces engins. Une baisse non négligeable pour ATPS, sachant que la société propose exclusivement de la location avec chauffeur et que la consommation de carburant impacte directement la prestation facturée au client. Sur l’année, pas moins de 100 000 litres de gazole ont ainsi été économisés, et autant d’émissions évitées.

En finir avec des machines énergivores

Reste que la société ne ferme pas la porte à une véritable transition énergétique. Au contraire, ses dirigeants sont conscients que le diesel finira par atteindre ses limites. « Il faut changer radicalement pour en finir avec des machines qui engloutissent quotidiennement entre 100 et 150l de diesel », déclare le directeur général d’ATPS, Charles Monier, qui a décidé d’organiser le renouvellement de son parc pour se passer des engins énergivores en 2030. Mais pour l’heure, sur une flotte de 274 équipements, hormis un compacteur Hamm HD 90 + hybride récemment acquis, ATPS ne possède pas de matériels hybrides, électriques ou fonctionnant au gaz. La faute à une offre qui fait défaut et à un surcoût à l’achat encore difficile à absorber.

 

Même diagnostic chez Payant, qui ne cache pas son impatience de voir le catalogue des industriels s’étoffer. Avec ses filiales Modloc MBTP, Loc BTP et Loc Atlas, l’entreprise iséroise, qui dégage 12 % de son chiffre d’affaires avec son activité location, gère environ 3 000 moteurs. Sur ce parc, elle totalise à peine deux mini-pelles et deux chargeuses électriques Volvo, ainsi que deux pelles hybrides Kobelco de 25 t acquises en 2016. Même si le gaz doit faire son apparition prochainement sur ses camions de transport, Payant relève un autre frein fondamental. Comme ses confrères, il ne peut pas créer la demande, seulement l’encourager. « Aujourd’hui, une entreprise est encore réticente à louer plus cher une machine électrique, si elle n’est pas contrainte de le faire, juge Gaëtan Llorach, directeur marketing du groupe. La transition énergétique des parcs locatifs aura lieu lorsque les clients seront prêts à payer de 1,5 à 1,8 fois plus cher la location à la journée. Il faut aussi que nos clients relèvent le prix de leurs marchés en répercutant le coût d’un matériel électrique dans leur prestation. Il faut être réaliste, pour l’heure, un loueur n’est pas en mesure de convertir entièrement sa flotte, tout simplement parce que le marché n’existe pas. »

Des clients peu réceptifs

Malheureusement, dans un climat d’incertitude économique post-Covid, il reste difficile pour certains clients de mettre au premier plan l’urgence de la réduction carbone de leurs activités de travaux publics. C’est du moins ce que constate Gérald Gismondi, PDG de Manu Lorraine, société spécialisée dans la location longue durée avec un parc de 150 machines, principalement des pelles de 2,5 à 35 t. « Nos clients [intermédiaires auprès des clients finaux] sont très peu sensibles à la consommation en carburant des machines, dont ils répercutent le coût à l’utilisateur, déplore-t-il. Nous tentons de les sensibiliser à la notion de retour sur investissement mais le surcoût du prix de la location compris entre 15 et 20 % les rebute totalement. Savoir combien consomme une machine leur est étranger ; la transition énergétique, encore plus. »

 

Pourtant, certains comme Equip+ ne perdent pas espoir. L’entreprise de location, qui rayonne dans la région du Gard, possède 270machines dans son parc, dont deux pelles hybrides Komatsu de 23 et 35t et une mini-pelle électrique Volvo de 2,5t. Son enveloppe annuelle de près de deux millions d’euros est en partie consacrée à l’acquisition de motorisations propres afin de toucher des clients travaillant en milieu urbain avec des contraintes sur le bruit et la pollution. « Le renouvellement de notre parc va vers des énergies alternatives et nous regardons de très près les évolutions sur l’hydrogène, explique Mathilde Veldieu, chargée du marketing chez Equip+. Mais nous sommes confrontés à un secteur qui veut d’abord que la machine soit efficace pour que le chantier se termine le plus rapidement possible. Dans ce contexte, la thématique du carburant est totalement secondaire. »

Steve Carpentier