Afin de réduire les émissions polluantes de leur parc matériels, les entreprises cherchent des solutions qui puissent les aider à accomplir leur transition énergétique. Si l'électrique et l’hydrogène sont dans toutes les têtes, les biocarburants destinés à la filière diesel sont déjà une réalité sur le terrain. Et, tout le secteur de la construction s'accorde à dire que la réduction de l’impact carbone passera inévitablement par l’utilisation de carburants non issus de ressources fossiles. La solution repose donc sur des biodiesels obtenus à partir de biomasse d’origine végétale, animale ou issue de déchets mais qui doivent, pour entrer dans cette catégorie, répondre à un prérequis : justifier d’une réduction d’au moins 50 % du dioxyde de carbone par rapport au GNR. Deux types de biodiesel respectant ce critère sont aujourd’hui produits en France. D’une part, les carburants fabriqués à partir des plantations de colza ou de la valorisation des huiles alimentaires, qui existent sous des marques comme Oleo100 du distributeur Saipol ou Dielix100 de Sarpi Veolia. D’autre part, les gazoles paraffiniques de synthèse fabriqués à partir d’huile végétale mais aussi de graisses animales, et qui sont commercialisés sous les appellations HVO100 par TotalEnergies ou PUR-XTL par Altens. Si les premiers, issus de la filière agricole, atteignent une réduction des émissions de CO2 d’environ 60 %, les seconds, qui sont raffinés par le secteur pétrolier, vont plus loin, avec un score minimum de 80 %. Un calcul qui s’effectue sur le cycle de vie du puits à la roue. Car ce pourcentage prend en compte l’ensemble des étapes qui permettent de le produire. Avant même de parler de la consommation de la machine, il faut d’abord connaître le bilan carbone du carburant utilisé. « Le CO2 qui sort du pot d’échappement au kilomètre parcouru est identique à celui du gazole, mais la fabrication du biodiesel est beaucoup moins gourmande en énergie, rappelle Marc Vandecandelaere, directeur commercial chez Saipol, principal producteur en France de biodiesel issu du colza, avec sa marque Oleo100. Si on regarde le bilan carbone global, le biodiesel apparaît comme largement gagnant. À l’horizon 2030, l’ensemble des fournisseurs de biodiesel végétal seront capables d’alimenter 10 % de la flotte captive de poids lourds en France. ».
40 000 t de C02 économisées par an grâce au B100
Avec un portefeuille de 580 clients, soit 6 000 camions et bus roulant au colza, dont plusieurs centaines dans le domaine du BTP, la filiale du groupe Avril entend même aller plus loin. Elle table sur une flotte de 30 000 camions d’ici 2025, soit 5 % du parc PL en France. « L’Oleo100 est réservé aux flottes captives de véhicules poids lourds qui disposent sur site de leurs propres cuves d’approvisionnement, et il ne peut être utilisé que par des moteurs homologués », tient toutefois à préciser Marc Vandecandelaere. Pas de quoi freiner Colas, qui a passé, en janvier dernier, un partenariat avec Saipol pour alimenter en biocarburant une partie de son parc de 3 000 véhicules PL. D’ici à 2023, et pour atteindre son objectif de réduire de 30 % ses émissions de carbone à l’horizon 2030, l'entreprise va convertir au B100 70 % de sa flotte poids lourds. Les douze premières agences – dont Toulouse, Strasbourg et Tours – ont été équipées de cuves de biodiesel, et 36 autres le seront d’ici à fin juin. « Cette conversion va nous permettre d’économiser près de 40 000 t d'émissions de CO2 chaque année. Mais nous regardons aussi du côté du biogaz, de l’hydrogène et de l'électrique, avec le lancement prometteur, d’ici deux à trois ans, des premiers camions zéro émission », précise Jérémy Courtois, directeur des équipements, industries et bitume pour la France et l’océan Indien chez Colas.
Éviter la modification technique des machines
Cependant, le major ne compte pas faire basculer son parc d’engins de chantier sur du carburant de synthèse de type HVO100, le seul compatible avec les engins mobiles non routiers (EMNR). Produit dit « drop-in », il ne requiert pourtant aucune modification technique des machines. « Actuellement, aucun constructeur de machines de TP ne développe de moteur compatible avec du biodiesel comme le B100, qui demande de revoir entièrement le bloc-moteur et la cartographie des engins, confirme David Forget, chef de produits chargeuses et tombereaux, en charge du biodiesel chez Volvo Construction Europe. Le biodiesel de synthèse, quant à lui, ne demande aucune homologation ni adaptation spécifique en deçà du Stage V, ce qui permet de l’utiliser immédiatement dans du parc ancien. Son désavantage reste l'approvisionnement mais aussi son prix, qui est très volatil. » Chez Volvo CE, hormis les machines compactes en dessous de 10 t, l’ensemble de la gamme est d'ailleurs compatible avec du carburant de type HVO100. « Les biocarburants sont uniquement une étape pour assurer la transition énergétique, en attendant l’arrivée de modèles entièrement décarbonés, note David Forget. Volvo CE va à terme supprimer le moteur thermique sur toutes ses petites machines pour passer à l'électrique. Nous en sommes encore au stade de la réflexion pour les machines intermédiaires, tandis que les engins de fort tonnage fonctionneront probablement à l’hydrogène. D’ici là, les biocarburants sont la solution idéale car les machines de TP en France représentent 3 % des émissions globales de CO2 du pays. ».
Le motoriste Cummins produit près d’un million de moteurs chaque année, dont la moitié est destinée aux véhicules PL. Un moteur sur cinq équipe des engins de chantier, notamment ceux des constructeurs Hyundai et LiuGong. S’il valide l’utilisation de ses moteurs avec du biodiesel de synthèse, aucun n’est pourtant à ce jour homologué pour du biodiesel de type B100. Une mesure qui concerne autant le routier que le non routier. Le motoriste admet toutefois le B20, qui contient quant à lui 20 % de biocarburant dans le gazole. « Le point négatif des carburants d’origine végétale est qu’ils ont tendance à se désagréger avec le temps, ce qui pose de sérieux problèmes en matière de filtration, d’usure des systèmes d’injection, d’entretien des filtres et des réservoirs, prévient Laurent di Vito, responsable des ventes et du pôle nouvelles énergies chez Cummins. Ils contiennent en effet des bactéries qui peuvent créer des bases acides susceptibles d'endommager certains composants utilisés dans le moteur. Il faut donc adapter la motorisation, ce qui n’est pas le cas avec du gazole paraffinique. ». Mais Cummins, comme d’autres, regarde déjà au-delà des biocarburants pour parvenir à un parc engins neutre en émissions. Le moteur interne à hydrogène lui semble pour l’heure bien plus réaliste que la pile à combustible, dont le développement demandera encore des années de recherches.
Steve Carpentier