Qu’est-ce que ce GT5 dont les travaux ont été remis le 24 mai dernier au ministre des Transports, Clément Beaune ?
Il s’agit d’un des cinq groupes de travail constitués pour mettre en musique une feuille de route de décarbonation des véhicules lourds, comme le prévoit la loi climat et résilience (pour précision, au titre de l’article 301). Ce document s’inscrit dans la continuité d’un rapport remis en 2021 au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui portait alors sur l’électrification des véhicules lourds. Ce groupe de travail a réuni, sous l’égide du même ministère, les différentes fédérations du secteur de la construction [Seimat, Evolis, DLR, UMGO-FFB et FNTP, NDLR] autour du thème de la transition énergétique des engins non routiers.
En quoi consistait concrètement votre mission ?
La même que celle confiée aux quatre autres groupes qui devaient se pencher sur un périmètre d’analyse spécifique [énergies, transports routiers de marchandises, transports routiers de voyageurs et véhicules utilitaires légers, NDLR]. Nous devions définir les choix qui permettront d’accompagner la décarbonation sur les vingt prochaines années. Pour ce faire, nous nous sommes appliqués à documenter des voies prioritaires au travers de huit fiches détaillant les solutions envisageables. Chacune d’elles comprenait les enjeux techniques, humains, organisationnels et financiers de déploiement pour nourrir une synthèse reprenant les actions et les leviers à mettre en œuvre par les acteurs de la filière comme par les pouvoirs publics.
Quelles principales recommandations avez-vous soumis ?
Nous avons insisté sur le fait que la question de l’approvisionnement en énergie des chantiers est centrale, et conditionne tout le reste. Un engin mobile off-road est par définition non routier. Il ne peut donc aller s’avitailler sur la voie publique. L’énergie doit lui être apportée sur le chantier. À l’horizon 2035, les petites machines et l’outillage devront s’être convertis à l’électrique, une exigence qui ne va pas sans poser un véritable problème de modèle économique aux entreprises. Et pour cause, ces matériels sont encore deux fois plus chers que leurs équivalents thermiques. Et c’est sans compter les power banks [recharges mobiles, NDLR], qui devront accompagner leur déploiement sur les chantiers afin de garantir la disponibilité de la recharge, et dont le prix avoisine celui d’une mini-excavatrice compacte. Impossible pour les entreprises d’absorber un tel surcoût, d’autant que l’amortissement sur la durée de vie de la machine reste encore difficile à évaluer. La faute à une valeur de revente conditionnée à l’état des batteries.
Si l’on veut miser sur les biocarburants, voire sur les e-fuels,
il nous faut pouvoir disposer d’environ 1,5 million de tonnes par an.
il nous faut pouvoir disposer d’environ 1,5 million de tonnes par an.
Comment traiter le segment des engins lourds, où l’électrique atteint ses limites ?
Il est d’abord essentiel que l’ensemble du parc passe rapidement à la norme antipollution Stage V. Moins de consommation, c’est autant d’émissions économisées. Ensuite, toutes les solutions d’économies de consommation (écoconduite, suivi des consommations et des ralentis, de la pression de pneus, guidage des engins…) ne doivent pas être négligées. Enfin, concernant l’alternative au GNR, la seule solution crédible à ce jour, c’est le carburant de synthèse. Dans cette famille, le B100 n’est pas envisagé par les constructeurs d’engins car il leur imposerait de réviser les cartographies de leurs moteurs pour le seul marché français, alors même que leur empreinte est mondiale. D’où le choix du XTL/HVO, qui n’impose pas ce genre de modification, en plus de la souplesse que les biocarburants offrent par leur miscibilité avec le GNR. En revanche, son surcoût devra bien entendu être compensé, par exemple par la fiscalité, afin de rester abordable.
Les énergéticiens seront-ils en mesure de répondre aux besoins du secteur ?
Si l’on veut miser sur les biocarburants, voire sur les e-fuels, il nous faut pouvoir disposer d’environ 1,5 million de tonnes par an. Or, les énergéticiens se sont montrés très clairs. Étant donné les investissements industriels requis et qui se chiffrent en milliards, il leur faudra vingt à trente ans pour les amortir. Pour les consentir, ils attendent donc des garanties. Cette visibilité est déterminante pour tous les acteurs. Si l’on reprend le cas des entreprises qui investiront dans des machines électriques, il faut pouvoir leur assurer qu’elles ne végéteront pas dans une cour, faute de disposer facilement de l’énergie capable de les faire fonctionner.
L’hydrogène aura-t-il un rôle à jouer dans cette équation ?
À part dans un endroit bien approvisionné, et qui serait donc suffisamment proche d’une des rares centrales d’hydrogène vert fonctionnant en France, nous n’avons pas aujourd’hui de solution opérationnelle d’avitaillement. Il faut bien garder à l’esprit qu’il doit être maintenu à 700 bar, ce qui implique de prévoir un volume de stockage sur chantier sept fois plus important que le GNR. Et c’est sans compter le volume et la masse du réservoir de la machine qui l’accueille : entre 10 et 70 kg par kg d’H2 embarqué. La résolution de cette équation arrivera, mais elle nous projette à l’horizon 2040. À notre sens, il n’y a, pour l’instant, pas d’alternative au carburant liquide sur les gros engins non routiers.
Interview à retrouver dans son intégralité dans le Moniteur Matériels n°6253.
Jeremy Bellanger