Les matériels de construction sont toujours plus nombreux à prendre la voie de l'électrification. L'objectif des fabricants est clair : donner aux entreprises les moyens de répondre aux besoins des chantiers urbains, périurbains et souterrains. Le renforcement des normes et directives environnementales, limitant les émissions polluantes et sonores, pousse les bâtisseurs à se tourner vers des alternatives au diesel. En témoignent les sorties récentes de nouveautés, particulièrement du côté des engins de manutention, plus faciles à équiper en raison de leur gabarit. Mais entre plomb ou lithium-ion... leur moteur balance. Pour éviter ce dilemme cornélien, le constructeur allemand Still a trouvé la parade : proposer les deux technologies dans son dernier son chariot de 3,5 à 5 tonnes de capacité, doté de deux moteurs de traction de 80 volts.
De son côté, Manitou Group a débuté le développement de son label basse émission baptisé « Oxygen » par une nacelle tout-terrain électrique de 20 mètres, la 200 ATJ E, qui emporte des batteries au plomb. Deux concepts de chariots télescopiques, le compact électrique MT 625 et le rotatif hybride MRT 2550, ont été présentés en 2019. Julien Waechter, directeur R&D chez Manitou, détaille : « Pour notre première nacelle, nous avons choisi des batteries au plomb, pour leur maturité de marché ainsi que leur qualité, plus adaptée à la demande. Nous avons également investi dans le lithium-ion, nous permettant ainsi de répondre aux demandes spécifiques des clients. Quelle que soit la technologie, c'est son impact environnemental qui influence notre choix. Il est d'ailleurs important que nos fournisseurs proposent une filière de recyclage. »
Un pionnier français
Haulotte, qui a été la première entreprise à lancer une nacelle tout-terrain électrique en 2018, la HA20 LE de la gamme Pulseo Generation, a également pris le parti de commencer par le plomb. « Aujourd'hui, le poids de nos modèles électriques varie de 800 kg à 10 tonnes. Ils sont équipés de packs batteries plomb-acide allant de 100 à 700 kg, avec une tension de 24, 48 ou 72 V », détaille Olivier Guillermin, ingénieur des systèmes énergétiques chez le spécialiste français. La HA20 LE est équipée de douze batteries fixées sur le châssis, entre les roues. Mais l'entreprise, qui travaille en partenariat avec le CEA depuis 2014, planche désormais sur la technologie lithium-ion pour envisager l'électrification d'équipements plus lourds.
De son côté, Liebherr a mis sur le marché la première foreuse électrique autonome de 55 tonnes, la LB 16, alimentée par douze blocs lithium-ion. Celle-ci développe 265 kW, soit 35 de plus que la version diesel. « Nous avons voulu démontrer que le rendement est au rendez-vous, que nous pouvons même faire mieux qu'en thermique », explique Johannes Rhomberg, chef de produits forage chez Liebherr. « Pour y parvenir, nous avons noué un partenariat avec Kreisel, dont les batteries possèdent la meilleure densité. » L'autonomie est satisfaisante : une dizaine d'heures pour une recharge de sept heures, grâce à une alimentation rapide de 125 A. Seul bémol, Liebherr a dû repenser la conception de son matériel en lui ajoutant deux excroissances à l'arrière afin d'intégrer les batteries et leur système de refroidissement.
En plus de cette équivalence de performance, confirmée par Julien Waechter, l'électrique ne nécessite pas de surcoût... à la possession. « Le retour sur investissement se fait entre deux et trois ans », estime le responsable R & D de Manitou. « Nous avons fait certifier notre procédé de mesure du coût, du TCO et des émissions par l'UTAC, un organisme de contrôle indépendant. »
Et les avantages ne s'arrêtent pas là. L'électrique permet de maîtriser plus finement les besoins et éviter ainsi de surdimensionner l'électronique embarquée. Depuis janvier 2019, tous les matériels Manitou sont connectés. En plus d'offrir aux clients une meilleure connaissance de la machine et une simplification de sa maintenance, les données d'utilisation réelle permettent au constructeur de dimensionner au plus juste la taille des batteries. L'avenir de l'électrique est plus que prometteur. Manitou Group et Haulotte ont par exemple promis d'électrifier l'ensemble de leurs gammes à moyen terme. Une révolution en courant continu.
4 technologies à la loupe
Le plomb
Il s'agit de la technologie historique que l'on retrouve dans la majorité des gammes de matériels de manutention électrifiés. Ces batteries composées d'accumulateurs au plomb-acide sulfurique raccordés en série, séduisent par leur coût très abordable. Elles souffrent cependant face à leur rival, le lithium-ion. « Les performances intrinsèques du plomb sont bien moindres que celles des procédés actuels », confirme Sébastien Patoux, responsable du service des technologies batteries au Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (CEA-Liten).
Le lithium-ion
Plusieurs formules de cette technologie se déclinent, selon le choix du matériau d'électrode positive utilisé sur les deux couples électrochimiques : d'un côté le lithium-nickel-manganèse-cobalt (NMC) et ses dérivés (NCA et LCO), de l'autre le lithium-fer-phosphate (LFP). L'électrode négative se constitue pour l'essentiel de carbone, avant tout sous forme graphite. « Les véhicules d'aujourd'hui et de demain seront sur une base NMC. En tant que matière première, le LFP coûte moins cher et est plus sécuritaire, mais il est moins intéressant en termes de densité d'énergie massique et volumique », compare Sébastien Patoux.
Le sodium-ion
Cette approche est en cours d'industrialisation, en France, par la start-up Tiamat. Ces batteries se révèlent performantes en termes de puissance et de durée de vie, mais nécessite davantage d'espace pour atteindre la même densité d'énergie que le NMC. Elles pourraient néanmoins présenter d'autres qualités : une recharge beaucoup plus rapide, et une consommation moindre de terres rares (nickel, cobalt…).
Le lithium-soufre
S'affranchissant du nickel et du cobalt nécessaires à la production des accumulateurs NMC, le lithium-soufre est en cours de développement. Ce procédé, développé par la société anglaise Oxis Energy, « permet d'aller plus loin en termes de densité d'énergie massique, et utilise une matière première très abondante et bon marché, le soufre. Cependant, il nécessite encore des améliorations pour allier performances, sécurité et durée de vie », temporise Sébastien Patoux.
> Retrouvez cet article dans son intégralité au sein du numéro daté du 13 novembre 2020 du Moniteur Matériels.
Séverine Fontaine