Lever en ville, le nouveau discours de la méthode

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À tour, mobiles ou à flèche treillis, les grues cadencent les chantiers. Utilisées en milieu urbain, elles imposent d’articuler expertise, nouvelles technologies et vigilance accrue.

Les sites web parasites sanctionnés !
?Des grues sur chenilles à flèche treillis exploitées sur un chantier à La Défense. © Mediaco
Le 27 février dernier, pliée en deux, la flèche d’une grue menaçait de s’effondrer en plein cœur du premier quartier d’affaires d’Europe. La structure installée sur la terrasse du 26e étage de la tour Hopen, à La Défense (92), culminait à 200 m de haut. Fort heureusement, il n’en a rien été, et ce type d’incident reste rare. « Sur 2 500 à 3 000 grues à tour en exploitation, entre 7 et 10 événements majeurs surviennent chaque année, alors que le nombre de grues installées ne cesse d’augmenter », confirme Manuel Martin, référent gros œuvre et structures porteuses au sein de l’OPPBTP. Pas question de s’en satisfaire pour autant. « Un accident doit être appréhendé de la même façon en ville ou en rase campagne, même s’il est vrai qu’en milieu urbain les conséquences peuvent être plus impactantes », poursuit l’expert. Il ne faut donc rien négliger, jamais, et investiguer systématiquement. Or, les causes uniques étant assez rares, déterminer l’origine d’un accident prend forcément du temps. Est-ce lié à la météo ? S’agit-il d’un défaut matériel, d’une erreur humaine ou de plusieurs facteurs combinés ?
 

Anticipation et organisation 

Autant d’interrogations qui gagnent en complexité lorsqu’il s’agit de lever en ville : opérer en toute sécurité nécessite une logistique rodée, une connaissance parfaite des machines et du terrain. Grues à tour et mobiles, sur remorque ou sur porteur, ponts roulants, portiques de manutention ne s’utilisent pas de la même façon, et tous ces matériels ne sont pas exposés aux mêmes risques. Dans un rapport publié en 2021, l’UFL et le réseau Mase ont listé des pistes d’amélioration à l’intention des constructeurs de grues mobiles. Parmi elles, la « mise en place d’un système facile pour le rangement et l’installation des plaques de répartition ainsi que du lot de chaînes et d’élingues pour les machines jusqu’à 4 essieux » ; « un meilleur accès à la machine tourelle depuis le sol et la circulation sur le platelage » ; ou encore « le renforcement de la sécurisation des opérations de montage et de l’assemblage des équipements et accessoires ». David Hosteins, directeur matériel de Léon Grosse, est catégorique. Pour lui, comme pour la plupart de ses homologues, opérer en centre-ville, dans des zones habitées, avec beaucoup de circulation et peu d’espace, relève du casse-tête. De nombreuses précautions s’imposent. Pour assurer la sécurité de ses installations, Léon Grosse, qui exploite au quotidien entre 60 et 70 grues à tour sur l’ensemble du territoire, s’est doté d’un service spécifiquement dédié au levage. C’est à lui que revient la mission de définir quelles seront les grues les mieux adaptées aux chantiers à venir : poids, hauteurs, capacités de levage, etc. Pour optimiser leur productivité et éviter un trop grand nombre de mouvements, le choix de leur emplacement sur les différents sites fait, lui aussi, partie des priorités. Enfin, « il faut savoir ce qu’on lève », rappelle ­David Hosteins.
 
 
Dans plus de 80 % des cas, les grues à tour sont dédiées au coulage du béton, plus rarement à de la manutention pure et dure. Et, quelle que soit l’application, les accidents sont souvent dus à des erreurs humaines. Même quand les matériels sont vérifiés, un autre problème se pose : celui du cahier des charges. Bien que certifié, chaque organisme y met un peu ce qu’il veut, une sorte de contenu à « géométrie variable » qui mériterait d’être mieux cadré. Pour Matthieu Girault, directeur régional Île-de-France et Nord de Mediaco, il y a des règles, et mieux vaut s’y tenir : « Lorsque l’on travaille sur des fondations, une grue à flèche treillis s’impose car il y a du “battage”, et donc des à-coups dans la flèche qui peuvent entraîner des dégâts sur l’ouvrage, voire de la casse matériel. » Les risques sont partout. Le dirigeant d’une entreprise de construction nous expliquait récemment avoir mis un blâme à l’un de ses grutiers qui avait désactivé la commande de l’« homme mort » à l’aide d’un simple scotch… La situation peut paraître cocasse. Elle va surtout dans le sens de ceux qui militent pour l’asservissement de l’ensemble des dispositifs de sécurité qui équipent les machines. « Nous devons sortir l’utilisateur de l’équation sécurité et faire en sorte qu’il ne puisse pas être en mesure de transgresser les règles d’utilisation mises en place par les constructeurs et les développeurs de solutions numériques, technologiques et électroniques, insiste Manuel Martin à l’OPPBTP. Un utilisateur ne devrait pas avoir à se demander s’il est en sécurité. Il doit l’avoir été du montage de la machine à sa mise en exploitation. » « Parmi toutes les évolutions conduisant à une utilisation plus sûre des grues à tour, il y a notamment l’anémomètre, outil obligatoire pour les grues d’une hauteur supérieure à 30 m, qui permet une meilleure surveillance des risques liés au vent. Cela existe depuis de nombreuses années et ça marche ! » rappelle Thibaut Le Besnerais, directeur produit monde des grues à tour Potain (groupe Manitowoc).
 
 
Le blocage automatique des matériels ? Voilà qui n’est pas pour déplaire à Yohann Lefeuvre. Maître monteur Bouygues pôle élévation, chargé de la maintenance d’un parc d’une quinzaine d’ascenseurs pour grues à tour, il sait que son métier est à risque. « Pour une capacité de charge de 3,2 t, une pré-alerte sonore se déclenche dès que l’on approche de 3 t, et l’ascenseur se bloque automatiquement si on atteint cette dernière charge. » 200 kg de marge et un arrêt automatique, et non au bon vouloir de l’opérateur ! Un principe de précaution qui est loin d’être un luxe dans un domaine aussi sensible et qui mériterait sans doute de s’étendre aux opérations les plus « critiques » ­pratiquées par l’ensemble des matériels de levage.
 

Hakim Bendaoud