Pour les professionnels de la route, le chemin de l’économie circulaire se met au rythme des voies qu’ils entretiennent : très rapide sur les autoroutes et les axes urbains, beaucoup plus lent sur le réseau secondaire. Avec un taux moyen de réintroduction des fraisats dans les nouvelles chaussées de 19 % en 2020, le recyclage des agrégats d’enrobés connaît une croissance régulière mais très inégale. « Beaucoup d’installations tournent déjà avec des moyennes de 35 à 40 %, et ces taux atteignent couramment 70 % sur les usines mobiles installées à proximité des grands chantiers, constate Thierry de Sars, directeur Développement et Communication du fournisseur Ermont, filiale du groupe Fayat spécialisée dans les usines d'enrobés. La marge de progression se situe dans le parc ancien, avec des seuils technologiques à passer. »
La capacité d’intégration des agrégats d’enrobés dépend en effet directement des matériels utilisés. « Les usines traditionnelles sont capables d’intégrer jusqu’à 30 % d’agrégats d’enrobés, voire 50 % moyennant certaines adaptations comme l’installation de systèmes de ventilation ou d’extraction des fumées, rappelle Alain Beghin, directeur technique de Spie batignolles malet. Pour aller au-delà, le recours à des usines spécifiques s’impose. » Ces installations restent rares. Actuellement, seules la moitié des usines en activité en France sont en capacité de mettre en œuvre un taux de 40 % d’agrégats d’enrobés, et 2 à 3 % seulement d’atteindre le seuil des 70 %.
L’évolution du parc est donc une première priorité pour augmenter le potentiel de recyclage. Les fabricants tentent d’accompagner le mouvement, avec une offre de solutions étoffée ces dernières années. Mise en service en 2017, la technologie TRX d’Ermont a permis la réalisation par les équipes d’Eurovia du premier kilomètre d'autoroute 100 % recyclé sur l’A10 – faisant au passage la preuve du potentiel quasi illimité des agrégats d’enrobés. Depuis ce chantier démonstrateur, l’usine d’enrobés reste principalement utilisée avec un taux de 70 % de matériaux recyclés, indique son constructeur. « Nous avons développé en 2020 la technologie TSX qui permet d’obtenir le même niveau de performances à des coûts moins élevés. Cette offre optimisée nous semble en phase avec les besoins du marché », précise Thierry de Sars pour Ermont.
Optimisation des coûts d'investissement
L’arrivée d’une nouvelle génération de matériels rebat donc les cartes en optimisant les coûts d’investissement pour les entreprises de travaux. À la tête de la direction Matériel d’Eurovia, Didier Thévenard annonce la mise en service d’ici la fin 2023 de la première usine du groupe en France pour assurer un taux moyen de 60 à 70 % – sans communiquer son emplacement ni la technologie utilisée. « L’autorisation d’incorporer jusqu’à 10 % d’agrégats d’enrobés sans changement de formulation a longtemps suffi à absorber la ressource. Désormais la filière a besoin de se structurer : dans la prochaine décennie, la production d’enrobés va devenir un métier d’économie circulaire, et non plus une simple production à partir de matériaux vierges », anticipe le dirigeant.
Mais l’enjeu n’est pas que matériel. Atteindre un taux de 70 % d’agrégats d’enrobés mobilise des compétences pour identifier et caractériser les gisements. « La principale problématique reste l’accès à la ressource, notamment dans les zones les plus éloignées des centres urbains, poursuit Didier Thévenard pour Eurovia. Il faut ensuite pouvoir qualifier les agrégats pour définir les formulations les mieux adaptées, notamment dans le choix des additifs qui aideront à remobiliser les bitumes. » C’est donc toute l’organisation amont de la production qu’il faut revoir, en particulier pour les installations fixes amenées à travailler avec une plus grande variété de fraisats, et des circuits logistiques plus complexes que pour les grands chantiers routiers.
Augmenter la part des agrégats d’enrobés implique aussi de rassurer les donneurs d’ordre, longtemps prudents sur les performances techniques des chaussées recyclées. Un pas important a été franchi avec le programme Mure en démontrant la pertinence du multirecyclage à 40 %. Demain, les plus forts taux seront compris entre 70 % et 90 %. Bien suffisant pour utiliser l'intégralité de la ressource à disposition.
Paul Falzon