Début mars, la Commission européenne a tranché. L’interdiction des moteurs thermiques dans l’automobile après 2035 ne concernera pas les véhicules utilisant des carburants de synthèse. Une décision de Bruxelles qui, si elle ne concerne pas le BTP, engage à relancer les réflexions autour des e-fuels. Face à l’envolée des prix du gazole, cette solution constitue une alternative potentiellement intéressante pour des professionnels des matériels de construction appelés à décarboner leurs activités. Pour rappel, en 2019, l’Europe demandait aux fabricants de réduire les émissions de CO2 de leurs machines de 15 % d’ici à 2025, 30 % d’ici à 2030, 65 % en 2035 et 90 % en 2040. Se présentant sous forme liquide ou à l’état gazeux, les électro-carburants, produits à partir d’électricité renouvelable ou décarbonée, se différencient des biocarburants issus de matière première d’origine végétale, animale ou du réusage de déchets. Leur principal avantage tient dans leur capacité à alimenter tous les engins thermiques existants, qu’il s’agisse de véhicules routiers ou de machines de chantier. D'autant que « à la différence des véhicules fonctionnant aux bio-carburants, ceux qui auraient recours aux e-carburants n’auraient pas besoin d’être certifiés », complète Xavier Hamel, Product manager – Business Unit Engine Europe de Kubota, par ailleurs membre du groupe d’intérêt eFuel Alliance. Des atouts qui s’accompagnent néanmoins de certaines restrictions.
Une énergie de transition
« Les e-fuels sont certes séduisants, car ils permettent de ne pas avoir à changer de motorisation. Mais leurs coûts de production restent élevés », (lire encadré ci-contre), nuance Jean-Yves Kerbrat, directeur général de Man Truck & Bus France. De plus, pour être vertueux, les carburants de synthèse doivent pousser la logique de décarbonation jusque dans leur production et donc s'appuyer sur l’énergie solaire ou l’éolien pour être fabriqués. Or, les volumes d’EnR à disposition sont encore limités. Autre écueil : leur faible efficacité énergétique.
Une analyse globale qui amène Jérôme Flassayer, directeur électro-mobilité de Volvo Trucks France, à conclure : « Les e-carburants constituent une piste intéressante, même si nous considérons qu’à l’image du gaz, ce sont surtout des énergies d’accompagnement vers la transition énergétique et qu’ils ne sont pas en mesure de se substituer aux énergies fossiles sur le moyen et long terme. »
D’où la volonté des industriels de privilégier d’autres solutions. « Aujourd'hui, le TCO [Coût total de possession, NDLR] d’un véhicule électrique est inférieur à celui d’un modèle thermique, poursuit Jean-Yves Kerbrat, avant de calculer, en guise de démonstration : « Pour utiliser 1 kW d’énergie électrique, il faut en produire 1,25 kW. Avec l’hydrogène, pour une énergie équivalente utilisée, 4 kW doivent être produits, ce qui fait 70 % de déperdition ». L’efficacité des e-fuels, elle, est encore plus faible.
Si l’on s’intéresse précisément au CO2, ce qui se rapprocherait le plus des e-fuels en matière de réduction des émissions, c’est un biocarburant type HVO [huile végétale hydrotraitée, également appelé diesel de synthèse, NDLR]. Ce dernier permet de diminuer de 60 % les émissions de CO2 et de plus de 85 % celles de particules fines. Pour l’heure, son déploiement n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais il a pour lui d’être miscible dans le gazole, ce qui lui confère une grande souplesse d’utilisation.
Au-delà de ces considérations techniques, la mise en lumière du e-fuel traduit d’abord des enjeux politiques. L’Allemagne y voit un moyen de préserver son industrie automobile, tout en dissuadant l’Europe d’acter la fin du moteur à combustion. Et cette nouvelle solution, si elle devait voir le jour dans le BTP, ne pourra pas empêcher une transformation générale du marché vers un mix énergétique faisant la part belle à l’électrique, l’hydrogène et, au moins un temps, aux biocarburants. Du transport routier aux engins de travaux publics, selon la taille des matériels utilisés, le constat est unanime : les besoins de puissance, de productivité, et donc, les carburants de demain ne seront pas les mêmes, ni utilisés dans des proportions identiques selon les applications.
Enquête à retrouver dans son intégralité dans le Moniteur Matériels n°6248.
Extrait d'une interview à retrouver dans son intégralité dans le Moniteur Matériels n°6242.
Hakim Bendaoud