De nouvelles inconnues se greffent sur l'équation urbaine

| Enquête |

Face à la densité croissante et à l'émergence de zones à faibles émissions, les flux de véhicules doivent être optimisés en ville. Un préalable avant l’arrivée d’engins décarbonés. 

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Sur les différents chantiers du quartier Lyon Part-Dieu, les flux entrants et sortants sont coordonnés par une plateforme numérique. © SPL Lyon Part Dieu
À l’exception de quelques travaux souterrains et ferroviaires, les chantiers TP se déroulent majoritairement de jour dans les zones urbaines, « lorsque la circulation est la plus dense », souligne Dominique Chevillard. « La recherche de fluidité – entre les flux entrants de matériaux et sortants de déchets à évacuer – est un défi logistique permanent », explique le directeur technique et recherche de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Grand témoin du séminaire « Chantiers et logistique urbaine durable » organisé le 28 juin par le programme Interlud*, il évoque une autre contrainte propre aux travaux publics : « Les terres excavées ne peuvent pas être stockées sur place, sachant que la taille moyenne d’un chantier est limitée en ville. Elle n’est que de 200 m2 à Paris, par exemple. Ces terres doivent donc être évacuées. Après un stockage temporaire, le moins éloigné possible, elles sont généralement ramenées et utilisées pour remblayer le chantier. » Mis bout à bout, les volumes et flux urbains du secteur TP sont ainsi estimés à plusieurs dizaines de millions de tonnes par an ! Réduire les émissions de ces transports est désormais une obligation réglementaire ainsi que contractuelle dans les cahiers des charges des collectivités territoriales et maîtres d’ouvrage.
 

Approches innovantes

Sans compromis sur l’optimisation des coûts et la sécurité des chantiers, ces enjeux environnementaux induisent de nouvelles logistiques urbaines. En témoigne la rénovation du quartier Lyon Part-Dieu sur 177 ha. « Ce projet de 2,5 milliards d'euros, organisé par étapes, compte plusieurs chantiers simultanés », précise Aline Achard, de la société publique locale (SPL) en charge de son pilotage. Dès 2013, un groupe de travail a été créé pour coordonner ses flux entrants et sortants. Il est à l’origine d’une plateforme numérique dédiée à leur régulation, conçue avec Mobility by Colas, filiale du groupe Colas. Déployée depuis septembre 2019, cette plateforme, baptisée Reguly à Lyon (commercialisée sous le nom Qievo par Colas), rassemble tous les intervenants du projet. « Cela permet de bâtir un planning harmonisé et dynamique pilotant l’ensemble des flux du chantier. Ce “guichet unique” simplifie son organisation et optimise les livraisons en évitant les congestions et les nuisances pour les riverains », argumente Aline Achard.
L’une des innovations est d’intégrer des aires de régulation et de « temporisation » ainsi que des « hommes-trafic ». Ces espaces et opérateurs régulent la circulation des flux en amont et sur le chantier. « Sur les aires, les conducteurs stationnent moteur éteint. Ils disposent d’une application mobile qui leur indique quand livrer, quels itinéraires emprunter et les identifie à l’aide d’un QR Code. C’est l’assurance d’une livraison au bon moment, au bon endroit, optimisée en termes d’émissions », assure Fabrice Luriot, directeur de Mobility by Colas. 
 

Les limites de l'électrique

Dans cette volonté d'allier optimisation des flux et réduction des émissions, l’offre « cyclo-logistique » innove aussi, cette fois à plus petite échelle, comme le prouvent les chariots à assistance électrique développés par K-Ryole. « Ils peuvent être équipés de bennes à enrobés ou à gravats », assure sa directrice commerciale Valérie Marchand, citant l’usage qu'en a fait Eurovia dans une cour d’école. La plupart des transports dans la filière TP recourent cependant à des engins et véhicules plus lourds et surtout thermiques, visés par les zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m). Or, la généralisation de ces dernières aux villes de plus de 150 000 habitants d’ici à 2024 se heurte encore à plusieurs freins. Le premier concerne l’offre à motorisation alternative au gazole. Elle est jugée « insuffisante » ou « inadaptée » aux besoins du secteur étendu au bâtiment. « Pour les machines de chantier lourdes ou les camions avec grue, les nouveaux modes de carburation, tels que le gaz ou l’électricité, nous n'avons pas encore assez de recul », confirme la FFB ­Auvergne-Rhône-Alpes.
Au manque d’autonomie dans le cas des motorisations électriques s’ajoutent le surcoût de ces véhicules et le rythme de renouvellement des parcs. « Les engins spécifiques au TP roulent peu. Ils sont amortis et gardés plus longtemps dans les flottes », rapporte Dominique Chevillard, qui pointe aussi « l’allongement des délais de livraison de ces véhicules neufs ». Se pose enfin la question de l’accès aux énergies alternatives en termes de distribution et de coût. Le prix du gaz carburant par exemple, est passé de 0,80 €/kg à 2,20 €/kg en un an…
 
 
*Innovations territoriales et logistique urbaine durable.

Érick Demangeon