La pluie intermittente et, surtout, la pandémie de Covid-19 n'auront pas eu raison de ConExpo 2020. Et heureusement, car les constructeurs avaient sorti de leurs valises une grande variété d'innovations qu'il aurait été dommage d'ignorer. Si la précédente édition, en 2017, avait été très prospective, avec par exemple la première pelle imprimée en 3D, le salon a cette fois présenté énormément de solutions concrètes, pratiques et prêtes à être déployées. "Nous avons une réputation de salon de l'acier lourd, mais nous allons bien au-delà, avec beaucoup de technologies", a rappelé Mary Erholtz. La présidente de ConExpo n'a pas hésité à affirmer que cette édition 2020, bien qu'écourtée d'un jour, resterait comme l'une des meilleures, avec pas moins de 130 000 visiteurs, soit davantage qu'il y a trois ans. La démonstration de la pertinence de la transformation numérique a ainsi été faite sur la majorité des 2 300 stands. Le digital est désormais mis à toutes les sauces, utilisé pour augmenter la productivité sur chantier, la sécurité des équipes, la durabilité des engins...
Pour s'en convaincre, il n'y avait qu'à se rendre sur le stand de Komatsu. Le fabricant promet un changement de cap dans les années à venir, en focalisant son attention davantage sur la data que sur la machine. Hier encore, ses solutions numériques peinaient à s'articuler pour croiser leurs bénéfices. Une époque révolue : le Japonais a fait travailler ses ingénieurs pour que toutes les data soient désormais interconnectées. Sobrement baptisée Smart Construction, sa nouvelle suite logicielle consiste ainsi en la combinaison de onze applications, qui doit permettre le contrôle de la planification, de la gestion du chantier, du calendrier, des coûts, ainsi que l'optimisation des processus à distance et en temps réel. Parmi les applis à l'œuvre, on trouve Design pour passer à la conception 3D du chantier, Dashboard pour mesurer la productivité, Simulation pour parfaire l'orchestration, Fleet pour optimiser son parc... Un ensemble technologique qui n'est pas sans rappeler le prometteur Concept-X de Doosan, dévoilé il y a peu.
Efficacité et rentabilité
Caterpillar a également dévoilé en avant-première sa solution complète, Cat Productivity. Cet outil avancé de gestion fournit l'ensemble des remontées de la machine via son site Product Link. Il permettre ainsi aux entrepreneurs de comparer la performance avec les objectifs de productivité, de remédier aux inefficacités et d'optimiser l'utilisation de la machine pour augmenter les bénéfices. Le français Fayat, présent à travers ses marques Bomag, Dynapac, Marini-Ermont ou encore Secmair, a lui aussi exposé son savoir-faire numérique. Car, comme l'a rappelé Jörg Unger, président de la division matériel routier du groupe, "au même titre que l'amélioration de la sécurité et l'engagement environnemental, l'exploitation des données des machines est l'une de nos priorités, afin d'offrir aux entrepreneurs plus d'efficacité et de rentabilité". D'où l'exposition pour la première fois sur le sol américain de sa solution Asphalt Pro, spécifiquement développée pour aider à la planification et à la documentation des chantiers routiers, mais aussi pour fournir de l'assistance au conducteur dans le but d'améliorer à la fois la qualité du travail réalisé et la sécurité des opérateurs.
Pour offrir cette débauche de services, encore faut-il pouvoir s'appuyer sur des données fiables et précises. Sur ce point, l'Internet des objets a changé la donne et ouvert les portes du marché de la construction aux pure players, avant que les full liners ne reprennent la main. Désormais, même les fabricants de pièces, composants ou accessoires s'y mettent et proposent des produits connectés. Epiroc est un exemple parmi d'autres. L'équipementier suédois a dévoilé Hatcon, un dispositif de surveillance à distance pour ses brise-roches et cisailles qui garde la trace de l'emplacement et des heures de fonctionnement de façon à améliorer l'efficacité et la sécurité. À travers la plateforme cloud My Epiroc, les clients ont accès à des notifications sur le service, peuvent créer des listes de tâches et visualisent d'un coup d'œil l'ensemble de leur parc.
Même idée du côté de l'allemand ZF, qui promet de réduire les temps d'arrêt des véhicules grâce à des modules connectés sur ses transmissions et châssis renvoyant des informations sur leur état à chaque instant. C'est aussi ce que propose en substance Caterpillar, via son système Smart Attachments, qui vise à détecter les pièces qui chauffent trop ou sont sur le point de casser... Autant de technologies qui font un pas de plus vers la maintenance prédictive.
Des ambitions nouvelles
De cette quête de performance numérique devraient naître une nouvelle cartographie du marché et des alliances. Dans le cas de Caterpillar et de son partenaire Trimble, cela prend pourtant la forme d'une séparation. Après vingt-cinq années de vie commune, les deux parties ont annoncé leur volonté de mettre fin à la joint-venture qui les unissait formellement depuis 2008 : VirtualSite Solutions n'est plus. Désormais, les deux entités ont entièrement la main sur le développement de leurs propres solutions, avec la commercialisation ad hoc. Stratégie opposée pour Liebherr, qui fête cinquante ans de présence aux Etats-Unis et croit davantage dans les synergies. Le géant allemand a profité du salon pour annoncer un partenariat avec Leica Geosystems dans le but de développer des systèmes de guidage 2D et 3D toujours plus pointus.
ConExpo 2020 a aussi été le témoin d'un galop d'essai dans l'énergie électrique, pourtant pas la tasse de thé des Américains. Mais, eux aussi cherchent à se libérer du monopole du gazole, dont les cours sont volatils et susceptibles de s'envoler à tout moment. Ils voient également d'un bon œil la possibilité de travailler en polluant moins, notamment dans les zones urbaines. Les prototypes se sont ainsi succédé, le constructeur le plus dynamique lors de cette édition étant sans nul doute Bobcat. L'américano-coréen (l'entreprise est une filiale de Doosan) a exposé pas moins de trois machines électriques. Les deux premières sont des prototypes qui devraient à moyen terme faire l'objet d'une industrialisation. L'E17e, un modèle de 1,7 t, pourrait ainsi rapidement enrichir la gamme de pelles électriques du constructeur, inaugurée par le petit tonnage de l'E10e (1 t). La S70e est quant à elle une chargeuse sur pneus à batteries, qui sort de l'ordinaire. Mais le plus étonnant est sans conteste le concept T76e, une chargeuse sur chenilles qui fait carrément l'impasse sur l'hydraulique ! La puissance et les performances sont entièrement contrôlées par l'électronique. Si l'on n'est pas près de voir cette machine sur les chantiers, l'innovation pourrait véritablement révolutionner la façon dont on conçoit les engins.
Le constructeur Gehl y est aussi allé de son concept de chargeuse électrique sur pneus en proposant le 165E, une machine qui offrirait les mêmes performances que la R 165 sur laquelle elle est basée. Le bruit en moins, évidemment... Case a fait de même en dévoilant son Project Zeus : rien moins qu'un tractopelle sur batteries lithium-ion. Citons enfin Hyundai, qui lance une série de pelles électriques avec les modèles R18E (2 t) et R35E (3,5 t). Le premier est développé en interne, le second en partenariat avec le motoriste Cummins. Combinez les motorisations électriques avec les solutions de gestion de la machine et du chantier vues à ConExpo, et vous aurez une bonne idée de ce que l'avenir nous réserve. Car, c'est bien connu, ce qui se passe à Vegas... finit par faire le tour du monde !
Arnault Disdero