Ces autorisations de circulation qui inquiètent les spécialistes du rail

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L'ouverture à la concurrence des réseaux ferrés européens entraîne de nouvelles procédures qui viennent remplacer les agréments SNCF Réseau. Les matériels de chantier ferroviaires doivent désormais s'y plier.

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Le quatrième paquet ferroviaire étend la libéralisation du rail aux engins de chantier. © Arnault Disdero / Le Moniteur Matériels
Depuis le 16 juin dernier, les matériels de chantier qui interviennent sur le réseau ferré français ne sont plus soumis à des agréments accordés par l'opérateur historique, SNCF Réseau, mais ils doivent obtenir des autorisations de mise sur le marché délivrées par l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF). De nouvelles règles s'imposent. En effet, avec l'avènement du quatrième paquet ferroviaire et la nouvelle directive "Interopérabilité", SNCF Réseau ne pouvait plus être juge et arbitre. Une petite révolution qui impacte fortement les constructeurs de matériels spécialisés dans l'entretien et la rénovation des voies, qui voyaient déjà dans les anciennes règles un casse-tête sans nom.
 
Comment ne pas se perdre dans les méandres de la législation européenne ? Et quelles répercutions sur le plan financier ? Au dire de plusieurs constructeurs, les procédures pour obtenir ces fameuses autorisations pourraient se révéler plus longues et plus coûteuses que prévu. "Ce transfert de compétences ne fait que répondre à l'ouverture progressive à la concurrence des réseaux ferrés européens", rétorque Laurent Cébulski, directeur des autorisations de l'EPSF. "Auparavant, l'agrément SNCF Réseau n'était valable que pour le seul marché français, alors qu'aujourd'hui les nouvelles demandes d'autorisation passent toutes par le guichet unique de l'agence de l'Union européenne pour les chemins de fer (ERA).

Plus facile pour les véhicules de série

Sur Internet, les entreprises peuvent ainsi déposer une demande pour leur marché d'origine ou pour plusieurs autres pays européens." Autre différence notable : contrairement à l'agrément, l'autorisation délivrée est "une autorisation de type". Ainsi, un fabricant de bourreuses n'a plus à déposer un nouvel agrément pour chaque machine sortie d'usine, à partir du moment où les matériels affichent les mêmes caractéristiques techniques. Autrement dit, pour les véhicules de série, une simple déclaration de mise sur le marché suffit.
 
Simple, vraiment ? Pour Kinda Im Saroeun, chef du département engins et outillage au sein de la direction maintenance et travaux de SNCF Réseau, rien n'est moins sûr. "Désormais, un constructeur doit demander un avis de conformité de la conception de son engin à la norme nationale [le document des références nationales (DRN) pour la France, NDLR] auprès d'un organisme accrédité DeBo (auprès du Cofrac pour la France) et un avis AsBo (conformité de l'analyse de risques à la méthode de sécurité commune) pour obtenir une demande d'autorisation de mise sur le marché, mais les autorisations délivrées ne portent que sur la circulation.
 
Le contrôle de la compatibilité revient, lui, à l'entreprise ferroviaire. C'est donc à elle de vérifier aujourd'hui si les matériels utilisés sont adaptés au trajet qu'elle empruntera. Si elle veut en plus que ses matériels bénéficient de l'interopérabilité européenne, elle doit entamer les mêmes démarches, mais cette fois-ci complétées d'un avis NoBo pour la conformité STI (spécification technique d'interopérabilité) auprès d'un organisme européen."
 
"Avant la mise sur le marché du premier engin d'une série, les organismes accrédités seront amenés à donner leur avis tout au long de sa conception. Dans les faits, ce ne sera pas beaucoup mieux que par le passé", regrette un fin connaisseur du dossier. Chez SNCF Réseau, Kinda Im Saroeun, lui, se demande si cette nouvelle étape n'aura pas carrément des répercussions sur le profil des matériels qui seront employés demain, au profit de matériels plus légers : "Sur les matériels lourds, les équipements de sécurité sont de plus en plus nombreux et complexes. Sur une bourreuse automotrice, le coût de ces équipements peut représenter jusqu'à 1,5 million d'euros, alors qu'une bourreuse remorquée peut très bien faire l'affaire." Avec une locomotive eurocompatible, les utilisateurs y gagneraient non seulement financièrement, mais aussi en termes de polyvalence. Selon des sources bien informées, il paraît d'ailleurs que cette solution a déjà de nombreux adeptes au Luxembourg.

Ce qu'il faut retenir

Tous les matériels ne sont pas concernés
Rien ne change pour les engins déraillables qui travaillent sur des domaines fermés. Comme par le passé, nul besoin donc de recourir à une autorisation spéciale pour les pelles rail-route et les lorrys utilisés.
 
Des délais accordés pour s'organiser
Le décret de sécurité-interopérabilité (n° 2019-525 du 27 mai 2019) octroie un délai d'un an aux gestionnaires d'infrastructures et aux constructeurs pour se mettre en conformité avec les dispositions réglementaires liées à la mise en place du quatrième paquet ferroviaire. Les matériels bénéficiant d'un agrément délivré par SNCF Réseau seront transférés à l'EPSF sans passer par le nouveau régime désormais en place.
 
Un guichet unique
Toutes les demandes d'autorisation doivent être déposées dans le guichet unique de l'ERA. Et ce, quel que soit le marché d'Europe pour lequel la demande est déposée. Ce n'est que par la suite que les experts de chaque pays sont consultés. En ce qui concerne la France, cette mission revient à l'EPSF. En cas de désaccord, un mécanisme de dialogue est prévu pour trouver une solution.
 
L'EPSF, nouvelle autorité compétente
L'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) est un établissement public administratif d'État sous tutelle du ministère chargé des Transports. Il assure en France les fonctions d'autorité nationale sur la sécurité des chemins de fer, prévue par la directive communautaire 2004/49/CE. À ne pas confondre avec l'Autorité de régulation des transports (ex-Arafer), qui joue un rôle de régulateur économique, tandis que l'EPSF veille à la sécurité ferroviaire proprement dite.

Hakim Bendaoud